Numéro 11
Sommaire
- Notes sur Donner c’est donner, Éric Watier & Roberto Martinez- Théorie des transmetteurs, Dominique Chateau
- Entretien avec Nicolas Bourriaud par Josefffine
AGNÉS THURNAUER
- Un héraclitéisme lent, Michèle Cohen-Halimi
- Friedrich Thurnauer, Michèle Cohen-Halimi
- Mendier, donner, Étienne Helmer
VINCENT CORPET
- COLLECTION J+C MAIRET, Jean Mairet
- En chemin avec Vincent Corpet Artiste, chercheur, peintre et performeur, Jean Mairet
- Corpet, mode d’emploi (ou Les Treize Stations de la Geste de Vincent Corpet), Philippe Ducat
- Dominique Berthommé résiste aux définitions, Camille Paulhan
- Entretien avec Catherine Millet par Pierre Dumonthier
- Chloé Silbano, Capturer le vivant ou se brûler avec la peinture, Mehdi Brit
- Donner, Recevoir, célébration d’un rapport, Alberto Sorbelli
- Le collectionneur (in)visible, entretien avec Christophe Veys par Septembre Tiberghien
- Quatre doigts dans les frondaisons et un devant l’objectif, Stéphane Pichard
- Premiers échos de l’Opération Augias, Bertrand Méheust
- Épuisement de la forme, Cyril Galmiche
- Lire les choses, Hervé Le Nost
- Entretien avec Lan Ting par Hervé Le Nost
- Deux voyageurs arrivèrent dans ces lieux Man Ray et Nous, Léa Bismuth
L’ENSCI, ÉCOLE ACCUEILLANTE, PAPERWORK
- S’avancer en promeneur, David Bihanic
- Paperwork, exploration lumière, OLED, papier — Résidence de recherche en design, Clémentine Chambon
- Dialogue de Dominique Chateau avec Pierre Dumonthier
- Chapitre 3 de l’histoire de la peinture en peinture, Pierre Dumonthier
Édito
Une petite histoireUne étudiante était venue me voir à la fin de l’année scolaire. Il y avait quelque chose qu’elle ne comprenait pas : comment se faisait-il, se demandait-elle, que nous, les enseignants, acceptions de donner autant sans avoir rien en retour ? Mais, lui expliquais-je, elle se trompait précisément là où son interrogation la blessait : ce n’était pas nécessairement moi qui lui donnais quoi que ce soit dans notre échange. Contrairement à ce qu’elle imaginait, le fait qu’elle ait l’impression que je m’assoiffais en cours pour son plaisir n’était qu’un effet d’optique ; à bien d’autres moments, c’est moi qui me sustentais.
Camille Paulhan
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Le don et la gratuité ne sont pas les mêmes choses.
La gratuité n’est pas donnée et le don n’est pas gratuit.
On peut transformer l’enseignement de l’art en une pratique artistique, si l’on considère en plus du don que l’on opère, le retour de l’enseigné comme un don lui aussi.
Ce faisant on se fait un don à soi-même.
Mais ce don à soi-même n’est pas gratuit.
Son coût c’est la spécificité de la transmission en art :
Son invisibilité, son insignabilité, son usure.
C’est le coût du don que l’on se fait.
C’est le coût de la gratuité en art.
Pierre Dumonthier
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L’enseignement est une profession de foi.
Pour pouvoir être en mesure de donner de manière désintéressée, c’est-à-dire sans attendre de reconnaissance ou de gratification immédiates, on doit d’abord gagner la confiance et l’écoute de celui qui apprend, comme au sein de toute relation. Cela ne se fait pas de manière automatique et parfois, on peine à y arriver. Soit l’étudiant-e nous refuse cette distinction qui fait qu’on se sent légitime de lui transmettre un savoir, soit c’est notre habileté à susciter le désir et la curiosité qui fait défaut.
Dans tous les cas, il faut croire dans le potentiel évolutif propre à chaque être, qui est la condition sine qua non pour que l’échange puisse avoir lieu.
Sans cette croyance qui n’est pas forcément religieuse, ni signifié par un rituel de passage, l’enseignement devient non seulement terne et ennuyeux, mais stérile. Il ne reste alors plus que l’expression d’un devoir citoyen, vide de sens.
L’enseignement artistique a ceci de particulier qu’il repose sur la transmission de savoir-faire techniques et de connaissances théoriques, mais aussi d’une posture intellectuelle et sociale, qui fait à la fois l’objet de fantasme et de méprise (y compris du corps professoral). L’injonction à devenir artiste pèse de tout son poids sur les aspirant-es au titre, comme sur les enseignant-es.
Où et quand s’opère la transmutation, c’est bien là le mystère.
Septembre Tiberghien
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Il y a un texte de Jean Baudrillard que j’aime beaucoup, malgré mon peu d’appétit en général pour sa prose, qui s’appelle « La sphère enchantée de l’intime » (1986).
Nous lisons chaque année un extrait de ce texte en cours avec les étudiants et les étudiantes. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que ce texte m’émeut profondément, parce qu’il évoque la « petite logistique quotidienne de l’intimité », la poésie, la douceur de l’intime. Et justement, le cours n’échappe pas à cette logistique : j’aime fermer la porte, que ce moment de totale perte, sans archives, soit tout à fait privilégié. Je peux accueillir en son sein les petits frères, les amis de passage, les anciens qui voulaient revenir écouter, même la mère qui a deux heures à tuer dans son emploi du temps ; mais je ne veux pas que mes pairs, mes collègues, ou même mes amis, y assistent. Comme — je suppose — on n’aime pas que les gens trop proches professionnellement, amoureusement ou amicalement nous voient prier, faire la charité ou lire une histoire à un enfant qui l’a réclamé en prenant soin de bien imiter les voix de l’ours ou de l’ogre.
Une autre petite histoire
Le lapis-lazuli que mon étudiante Galiane m’a confié l’an dernier n’est pas un simple cadeau : c’est un petit objet magique offert en guise de contre-don, que je garde précieusement avec moi tous les jours parce que — pensé-je — celui-ci me protège par avance des sortilèges d’étudiants et étudiantes mécontentes.
Camille Paulhan
Directeur de publication
Pierre DumonthierParticipant
Dominique Berthommé,David Bihanic,
Léa Bismut,
Nicolas Bourriaud,
Mehdi Brit,
Clémentine Chambon,
Dominique Chateau,
Michèle Cohen-Halimi,
Vincent Corpe,
Philippe Ducat,
Pierre Dumonthier,
ENSCI,
Cyril Galmiche,
Étienne Helmer,
Josefffine,
Hervé Le Nost,
Bertrand Méheust,
Jean Mairet,
Roberto Martinez,
Camille Paulhan,
Stéphane Pichard,
Catherine Mille,
Alberto Sorbelli,
Chloé Silbano,
Agnès Thurnauer,
Septembre Tiberghien,
Lan Ting,
Christophe Veys,
Éric Watier
Graphique
WakeyFormat : 16,5 x 22,3 cm
Nombre de pages : 260
Date de parution : 2019